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Thierry Ruby – L’Œil du Curieux

by Thierry Ruby
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Diplômé de l’École du Louvre, Thierry Ruby débute sa carrière par la découverte de L’Affliction, un buste du XVIIIe siècle par le sculpteur du roi Jean-Baptiste Stouf, depuis acquis par le musée du Louvre.

Beauté, étrangeté et mystère sont les qualités recherchées dans les œuvres présentées. L’universel féminin, le fantastique et la psyché en restent les thèmes éternels et prédominants, explorés au fil des accrochages entre excès, poésie, émotion et merveilleux.

UNE INTERVIEW DE THIERRY RUBY

Ouvert en 1998 et fidèle en tous points à son appellation, Le Cabinet des Curieux propose une collection d’objets anciens, de curiosités naturelles, scientifiques et ethnographiques, parmi lesquelles s’invitent quelques oeuvres d’art récentes. Une oasis urbaine qui résiste avec passion à l’air du temps et aux modes de l’époque, pour assouvir notre besoin de merveilleux. Et un lieu véritablement unique, dont les coordonnées s’échangent sous le manteau entre amateurs éclairés et collectionneurs de l’étrange.

Propos recueillis par Laurent Courau

Pouvez-vous revenir sur les origines du Cabinet des Curieux et ce qui vous a amené dans le magnifique écrin du passage Verdeau ?

Ayant fini mes études à l’École du Louvre, j’avais un capital devant moi. Il me fallait trouver un lieu pour exercer. Le local du 12 passage Verdeau était marqué « à louer ». Nous étions trois à le vouloir en même temps, le propriétaire (diamantaire) m’a choisi car m’a t-il dit « j’avais un nom qu’il aurait aimer porter ». Donc, me voici au passage Verdeau, du fait de la consonance de mon nom. Un pur hasard irrationnel.

Pour avoir eu l’occasion d’admirer l’étendue de vos connaissances à différentes reprises, j’aimerais que vous reveniez sur votre formation, soit vos études à l’École du Louvre et l’acquisition de ce savoir, aussi multiple que surprenant ?

Ça a commencé à l’adolescence par la collection de livres du XVIe siècle, monnaies, morceaux d’amphores romaines. Mes parents achetant souvent des antiquités, j’étais familier de cet univers.

Je pensais faire l’École des Chartes (mon côté grimoire alchimique). Mais un archiviste m’a dit : « vous manipulerez toute votre vie des manuscrits, mais vous n’aurez pas les moyens de vous en acheter ». Je lui en suis très reconnaissant, sa perspicacité m’a permis de réaliser que je voulais posséder les objets, donc que j’étais destiné au marché de l’art.

J’ai cultivé la fréquentation des antiquaires, des marchés à la brocante, des musées, des salles des ventes, puis de l’École du Louvre où l’on étudie la production artistique, depuis la préhistoire jusqu’au XXe siècle.

Au fil des années, on a vu défiler le tout Paris entre vos murs et plus particulièrement une certaine scène artistique, fétichiste et néo-gothique. Comment en êtes-vous venus à fréquenter cette engeance ? S’agit-il simplement du fruit de rencontres récentes ou d’un intérêt plus ancré, qui remonterait peut-être jusqu’à l’adolescence ?

Ce n’était absolument pas prévu, C’est simplement parce que nombre d’artistes de la sphère alternative, dark pop surréaliste que j’affectionne trouvent dans cette scène « fetish » une source d’inspiration « borderline ».

Un peu comme autrefois les maisons closes, les cabarets, et leur univers canailles et sulfureux inspiraient les peintres. À la différence, bien sûr ,que derrière les Maisons se cachait une grande misère, des trafics et de l’esclavage. Le milieu de la prostitution étant illégal depuis 1945, il fait moins rêver. Désormais le fétichisme et sa mise en scène esthétique ont pris le relai en tant que « loisir canaille » et source d’inspiration artistique « borderline ».

Plus généralement, à qui s’adresse le Cabinet des Curieux ? Quel genre d’étranges personnages viennent y assouvir leurs passions ?

Il y a aussi bien le client rationnel qui sait ce qu’il cherche et à quel prix, le client accommodant qui cherche la rencontre avec un objet, le client dominateur qui cherche un faire valoir, le compulsif qui a un besoin vital d’acheter. Mais en fait, peu d’étranges personnages.

Essentiellement des collectionneurs qui se créent un univers, un refuge d’objets. Il y a le « classique » tourné vers le XVIIIe siècle, le « fantastique » qui achète des dragons, des chimères et des vanités, le « thématique » qui ne cherche que des sphinx, par exemple, l’« ethnographique » qui aime les fétiches, les masques et les armes blanches de pays lointains, le « collectionneur de curiosités contemporaines » qui achète des oeuvres dark ou pop surrealistes, l’« archéologique » qui adore les terres cuites gallo-romaines.

Et une autre catégorie, moins sectorielle dans ses choix : les « amateurs », qui peuvent picorer dans chaque catégorie.

Des gens normaux, vus de l’extérieur, avec un jardin secret intérieur.

Vos collections, les objets que vous exposez et proposez, semblent provenir des quatre coins du monde et de toutes les époques. Pour vous citer : « un ensemble d’objets anciens, curiosités naturelles, scientifiques, ethnographiques, où s’invitent les œuvres d’artistes actuels ». Comment choisissez-vous ces pièces ? Et qu’est-ce qui motive la présentation d’un tel éventail, aussi fou que varié ?

C’est l’essence même du cabinet de curiosités. Il s’agissait dans les siècles passés de présenter un « résumé » du monde, avec en plus une note de magie ou fantastique, apportée par des artistes de l’époque.

Pour ce qui est de l’ancien, on passe ainsi de l’archéologie précolombienne à une nymphe en bronze, un vase aux serpents, un masque funéraire, un reliquaire ou une vanité. Pour les artistes vivants, c’est la même quête, on « chasse » autant l’artiste que les objets. C’est le fait de découvrir par soi-même qui crée l’émotion supplémentaire.

Cette boulimie de curiosités m’a amené a m’intéresser à de nombreux domaines de collection. Je n’ai pas d’a priori sur ce qu’il est « sérieux » de collectionner ou pas. Le goût personnel que l’on se forge est essentiel. Le reflet en est le magasin, les clients attendent ce goût, qui devient une référence pour certains.

Bien que l’exercice puisse s’avérer difficile, pourriez-vous revenir sur les trois, quatre ou cinq pièces qui resteront éternellement chères à votre cœur ? Celles qui vous ont le plus ému et dont vous avez eu le plus de mal à vous séparer ?

La première est un buste en terre cuite de 1785 (vendu au Musée du Louvre) : L’Affliction, par Stouf, sculpteur du roi. Cette sculpture constitue la pierre fondatrice de ma quête esthétique qui s’est développée au cours des années : beauté, douleur, sensualité. Un sublime travail de modelage. Et sa vente m’a permis de me lancer.

La seconde est Eve, sculpture robotique par le duo Benalo Polis, créée pour l’exposition Venus Robotica. Je suis le parrain d’Eve, qui a été baptisée à l’huile de machine à coudre. Elle illustre un autre axe indissociable du Cabinet des curieux : l’étrangeté et la science fiction, le fantastique.

La troisième est un ivoire romantique, La jeune fille et la Mort. Au moment où le client m’a dit « je l’achète », j’en ai éprouvé un malaise. Éros et Thanatos, incontournable.

La quatrième est Greensward Grey par Natalie Shau, oeuvre sur le passage entre monde des vivants et des morts.

Citons aussi cette sanguine italienne du début du XVIIe siècle, qui représente Méduse. Méduse, belle jeune fille violée par Poseidon dans un temple dédié à Athéna, se voit punie par cette même déesse, qui la transforme en gorgone. Ses cheveux deviennent des serpents, ses yeux se dilatent et désormais son regard pétrifie tous ceux qui le croisent. On y trouve la puissance du féminin, le pouvoir du regard, le rapport intime au monstrueux.

Énumérer ces pièces résume bien le côté « borderline » du Cabinet des curieux : beauté, sensualité, douleur et fantastique.

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